5ème soirée de l’encadrement : Exercice du pouvoir et genre à l’honneur

Le 11 décembre 2018, la question du genre dans l’exercice du pouvoir était à l’honneur de la conférence de clôture des soirées de l’encadrement de l’ENPJJ, donnée par Brigitte GRÉSY.

5ème soirée de l’encadrement : Exercice du pouvoir et genre à l’honneur

Le 11 décembre 2018, la question du genre dans l’exercice du pouvoir était à l’honneur de la conférence de clôture des soirées de l’encadrement de l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse, donnée par Brigitte GRÉSY.

Le mardi 11 décembre 2018, une quarantaine de professionnels d’institutions diverses était présente au site Olympe de Gouges du ministère de la Justice, pour assister à la 5ème et dernière conférence du cycle des soirées de l’encadrement – session 2018 – de l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ). La question du genre dans l’exercice du pouvoir était à l’honneur de cette conférence donnée par Brigitte GRÉSY, secrétaire générale du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP).

Vers une éthique de coresponsabilité

Le 11 décembre 2018, la question du genre dans l’exercice du pouvoir sera le thème de la dernière soirée de l’encadrement – session 2018 – de l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ) à Paris.Le mardi 11 décembre 2018, le site Olympe de Gouges (Paris) de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) accueillera la dernière soirée de l’encadrementsession 2018 – de l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ). Tout au long de l’année, ce cycle de conférences – à retrouver en vidéo sur le site de l’ENPJJ – aura interrogé la thématique du pouvoir et son articulation avec la construction personnelle, l’autorité, ainsi que de l’éthique de la responsabilité et de l’éthique de la sollicitude. Cette dernière conférence, donnée par Brigitte GRÉSY, secrétaire générale du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP), portera sur la question du genre dans l’exercice du pouvoir. Elle est ouverte à toute personne occupant des fonctions d’encadrement.

« Je pense que l’égalité femmes-hommes est aujourd’hui au-delà d’une revendication féministe. Ce sujet est un levier de modernisation de nos institutions et aussi une promesse d’un avenir professionnel, de conditions de travail meilleures pour toutes et tous », a déclaré, Isabelle ROME, haute fonctionnaire à l’égalité femmes-hommes du ministère de la Justice depuis le 1er juin 2018, au cours de l’allocution d’ouverture. « On est passé, au XXème siècle, d’une société de patriarcat à une société de pouvoir partagé, d’une société de puissance paternelle à celle d’une autorité parentale conjointe. Peut-être que cette idée de pouvoir partagé est aussi de construire, ensemble, une éthique de coresponsabilité qui nous engage toutes et tous à l’égard des générations futures. »

« Pouvoir et genre sont un exercice très mal partagé », a rappelé Isabelle GRÉSY en préambule de son intervention. « L’accès aux postes de responsabilité et les rôles sociaux de sexe ont une sorte d’injonction à faire ou à ne pas faire, en fonction du sexe qui est le sien. »

Au cours de son intervention assortie d’exemples émanant de campagnes de communication publiques ou privées, Brigitte GRÉSY a montré les timides mais notables avancées en matière d’accès à des postes de responsabilités pour les femmes, qui se heurtent à des catégorisations et des stéréotypes de genre et à un sexisme ambiant, tout en militant pour une vigilance individuelle et collective, en s’appuyant sur l’idée que les compétences n’ont pas de sexe.

 

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Cet article est issu de notes prises au cours de la conférence et n'engage pas Brigitte GRÉSY.

Des avancées timides mais notables

En multipliant les exemples tirés de campagnes de communication institutionnelles ou d’entreprises privées, Brigitte GRÉSY a montré à quel point certains stéréotypes de genre pouvaient être tenaces, en dépit d’avancées – timides, mais notables – en matière d’égalité femmes-hommes. Augmentation du nombre de femmes dans le salariat et le tertiaire, du niveau de formation initiale, de l’acquisition de diplômes, la tendance est à la hausse. Des mécanismes de quotas et de sanction ont été mis en place pour favoriser leur intégration. Les femmes peuvent ainsi évoluer mais un plafond de verre persiste à mesure qu’elles gravissent le sommet. Il n’y a ainsi à ce jour aucune femme occupant un poste de PDG dans les entreprises du CAC40, en dépit des sanctions. « Ces chiffres, qui sont déjà des chiffres qui posent problème, sont aussi corroborés par la tragédie des 20% », explique Brigitte GRÉSY : 20% de salariés femmes, 20% de tâches ménagères prises en charge par les hommes, écart différentiel de 20% dans le traitement des salaires, … « Les femmes représentent pourtant 52% de l’humanité ».

Un leadership au féminin

Si le manager peut être défini comme un gestionnaire, un planificateur, qui met l’accent sur la rationalité et le contrôle, le leader est quant à lui un bon communiquant, doué d’une vision stratégique qu’il va partager et autour de laquelle il va mobiliser ses équipes. Il se développe petit à petit une idée selon laquelle il existerait une sorte de leadership au féminin. Brigitte GRÉSY, pour présenter ces 2 versions du leadership, s’appuie sur une définition donnée par CORNET et BONNIVERT en 2008 : « Le leadership au féminin serait une sorte de leadership interactif, orienté sur le relationnel, transformationnel, émotif, encourageant la participation, partageant le pouvoir et l’information, centré sur la motivation des subordonnées, axé sur la tâche et les résultats, mobilisant les réseaux et la mise en relation des personnes et des objectifs, avec une résolution des problèmes centrées sur l’intuition […] À l’inverse, les hommes auraient un style de leadership directif, transactionnel, centré sur l’accomplissement personnel et la carrière, avec une rétention de l’information, analytique, plus stratégique et visionnaire, encourageant plus la prise de risque, plus réservé et avec un contrôle des émotions plus élevé ».

« On a une sorte d’androgynie psychologique du pouvoir, une sorte de bisexualité managériale, avec des capacités féminines et masculines », explique Brigitte GRÉSY. « Il n’est pas rare d’entendre d’un homme « il a su trouver la femme qui est en lui ». Un bon manager est à la fois homme et femme ». Des fonctions de gouvernance sont alors caractérisées par des stéréotypes.

Entre stéréotypes et catégorisation

La catégorisation consiste à rassembler un ensemble de personnes ou de choses en fonction de leurs caractéristiques. Les stéréotypes peuvent être quant à eux définis par des représentations simplifiées et parfois – souvent – déformées de la réalité. « Pour des raisons de confort affectif, nous sommes cautionnés dans notre appartenance à un groupe », explique Brigitte GRÉSY. « Nous jouons avec les stéréotypes de sexe qui fonctionnent comme des rites d’intégration dans un groupe donné ».

Sensible ou fort, privé ou public, actif ou passif, dur ou tendre, la tendance est à une déclinaison binaire du monde. « Le problème », insiste Brigitte GRÉSY, « c’est que le féminin est toujours affecté d’un coefficient symbolique négatif ». Il y a depuis l’enfance une fabrication différente des sexes qui conduit à un formatage. Brigitte GRÉSY décrypte les messages publicitaires vecteurs de stéréotypes  encore tenaces : l’esprit d’équipe sera tantôt évoqué par une poignée de jeunes filles en tutu, tantôt par une équipe de garçons tout boueux ; les filles restent cantonnées au secteur paramédical alors que les garçons sont promis aux grandes écoles et aux métiers d’avenir ; elles cherchent le poste de leurs rêves, ils cherchent celui à la hauteur de leurs ambitions.

Des stéréotypes sexistes à combattre

Ces stéréotypes, en légitimant les inégalités, ont tendance à les faire apparaître comme naturelles. Or, ils peuvent devenir discriminatoires, s’ils limitent le développement de l’expression ou l’exercice des droits d’une catégorie de personnes. Ils contribuent ainsi à créer de la souffrance, chez les victimes, comme chez les auteurs.

Le sexisme érige en croyance la supériorité d’un sexe sur l’autre. Il engendre l’idée, chez les victimes, qu’elles ne sont pas capables de faire quelque chose, et peut à terme générer de l’autocensure.

Le sexisme ordinaire (Petit traité contre le sexisme ordinaire, 2008) au travail se définit comme « l’ensemble des attitudes, propos, comportements, gestes, fondés sur des stéréotypes de sexe qui, l’air de rien, de façon consciente ou inconsciente, délégitiment, décrédibilisent, infériorisent, disqualifient les femmes sur le marché du travail ».

Les compétences n’ont pas de sexe

Les femmes sont alors convoquées dans des postes de responsabilité, pour de la complémentarité avec les hommes sur les plates-bandes desquels elles empiètent. Une nouvelle division sexuelle des tâches apparaît. Aux femmes la communication, l’écoute, l’empathie (ressources humaines, communication, …), aux hommes la stratégie et les cordons de la bourse. Les modes de gouvernance ont pourtant changé. Ce sont des compétences différentes qui sont requises, non des personnes. L’intuition, la capacité du faible à anticiper la demande du fort, n’est pas exclusivement féminine, mais serait plutôt mobilisée par les femmes, qui ont plus d’expérience en la matière dans le contexte actuel. « Il y a sans doute des comportements différents hommes / femmes car nous avons appris des choses différentes depuis l’enfance », tempère Brigitte GRÉSY. « Mais les compétences n’ont pas de sexe ».

Un traitement différent dès l’enfance

Certes, devoir composer avec un autre que soi est une règle intrinsèque à la question du pouvoir. Mais les femmes n’ont pas construit leur sentiment de légitimité de la même façon que les hommes. Elles ne sont pas traitées de la même façon que les hommes, et ce dès l’école : alors que l’on apprend aux garçons à être à l’aise, à réussir, on apprend aux filles à être élégantes et belles à voir ; on leur apprend les jeux d’imitation (la dînette, papa et maman), tandis que les garçons s’épanouissent dans les sports d’équipe. Ces différenciations se reproduisent dans le monde du travail. On dira d’une femme ambitieuse (88% des femmes déclarent avoir de l’ambition, selon une étude EPWN) qu’elle n’aime pas les enfants, tandis qu’un homme aura beaucoup plus de difficultés à obtenir un temps partiel pour raison familial.

Un conflit permanent de légitimité

Les femmes sont naturellement vouées au surmenage, engluées dans un conflit permanent de légitimité et d’imposture. « Soit je ne suis pas une assez bonne mère », résume Brigitte GRÉSY, « soit je ne suis pas une assez bonne chef ». Tandis que la construction des garçons est beaucoup plus orientée dans l’affirmation de soi, le positif, le « je suis », les filles sont contraintes à la culpabilisation. Il serait pourtant plus facile pour les hommes de pousser la porte d’une cuisine que pour une femme de pousser celle d’un conseil d’administration.

Les 5 paradoxes du monde du travail

Les femmes sont en réalité soumises aux 5 paradoxes du monde du travail :

- des relations interpersonnelles biaisées où les stéréotypes ont encore la vie dure ;

- une évaluation trompeuse des métiers, où l’on considérera que porter un sac de ciment est plus pénible que porter une personne âgée ;

- des procédures RH faussement neutres, où la mobilité contraint le déroulement de carrière ;

- une communication sexiste, à l’instar des campagnes précédemment évoquées ;

- un temps biaisé où l’exercice de la parentalité devient une contrainte au développement professionnel.

Le syndrome d’Atlas

Les hommes ne sont pas en reste et peuvent également être victimes d’une forme de sexisme, appelée le syndrome d’Atlas. C’est une injonction de force et d’invulnérabilité : être toujours un gagnant, ne jamais montrer de faille dans l’armure, … La grande différence avec les femmes réside toutefois dans le rapport au pouvoir. Ainsi, si le sexisme qui pèse sur les femmes les évince des lieux de pouvoir, celui qui pèse sur les hommes créera une forme de souffrance – une perpétuelle posture instable qui obligerait presque à montrer les crocs en permanence – sans qu’elle mette toutefois en péril leur rapport au pouvoir. Si 4% des éducateurs de jeunes enfants sont des hommes, le pourcentage s’inverse rapidement au bout de quelques années en matière de postes de direction de crèches.

Une vigilance collective et individuelle

Que faire pour régler tous ces problèmes ? Brigitte GRÉSY prône une double vigilance, collective et individuelle :

- collective. « Dans la mesure où il y a eu un conditionnement général des femmes à être des secondes (laisser sa place, séduire, assister, …) », rappelle Brigitte GRÉSY, « il faut développer le coaching, le tutorat, le mentorat, de façon à faire progresser la cordée des femmes ». Il a tout un travail à faire sur le réel et les représentations.

- individuelle. Deux chantiers sont à mettre en œuvre :

- Les femmes doivent apprendre à demander pour elles-mêmes. Elles ont jusque-là toujours appris, soit à ne pas réclamer, soit à demander pour les autres, dans une optique de care.

                - Il faut décoller les étiquettes. C’est l’idée à marteler, selon laquelle les compétences n’ont pas de sexe.

« À cause des stéréotypes, la question du sexe a envahi tous les champs de notre perception de l’autre et elle nous pose problème », conclue Brigitte GRÉSY, qui milite ainsi pour un recentrage, non sur les sexes, mais sur les individus.

Questions diverses

De la résistance au changement

Au détour d’une question sur l’écriture inclusive, Brigitte GRÉSY rappelle que ce n’est qu’un XIXème siècle que le masculin l’a emporté sur le féminin. La règle de l’accord avec le plus rapproché (« Tous les hommes et les femmes sont belles », Molière). Autrefois, tous les noms étaient féminisés et l’on observe dernièrement un retour de cette tendance. L’écriture inclusive ne semble pas encore prête à s’imposer dans les esprits, en particulier ceux des hommes. Ils peuvent considérer qu’une femme qui arrive est un poste en moins pour eux. Pourtant, la carrière ne sera plus jamais comme avant : avoir managé, audité, été expert(e), responsable de sous-traitance, managé à nouveau, … « Une bonne carrière », résume Brigitte GRÉSY, « ce sont des respirations, où l’on convoque des capacités intellectuelles différentes ».  Elle dresse un parallèle intéressant avec le traitement réservé aux seniors depuis l’avènement du numérique et de l’intelligence artificielle. Les hommes sont aujourd’hui menacés au même titre que les hommes. Pourtant, le numérique n’offre que l’accès à la connaissance, pas la transmission et encore moins l’expérience.  Brigitte GRÉSY ne considère pas les hommes comme des sauveurs, mais plutôt comme des partenaires.

Vers un nouvel apprentissage

Brigitte GRÉSY milite pour un apprentissage approfondi du travail mental. Au-delà du développement personnel, il s’agit notamment d’un apprentissage lié à la socialisation des individus. La société telle qu’elle est fait que chacun est sans arrêt dans le réajustement. « Apprendre à régler un conflit, apprendre à gérer une attaque sexiste, à formaliser ce qui se passe, à ne pas se précipiter, à élaborer, à préserver ses intérêts, tout ce travail mental, valable pour tout et qui est un élément central contre les violences sexistes et sexuelles, ça, on ne l’apprend pas », déplore Brigitte GRÉSY. « Il faut aussi apprendre au non-cadre à négocier et à ne jamais lésiner sur ses intérêts. Ses intérêts passent toujours par la prise en compte des intérêts de l’autre ». Il s’agit également d’intégrer la gestion des émotions, que l’on soit homme ou femme. « Aujourd’hui, affirmer qu’on n’est pas sûr, c’est déjà montrer une faille dans l’armure et ça, c’est un élément essentiel dans la sociabilité », conclue Brigitte GRÉSY. C’est une chose très compliquée, mais qui s’apprend.

 

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C’est sur ces mots que s’est achevé le deuxième cycle de conférences des soirées de l’encadrement de l’ENPJJ, à retrouver en vidéo sur le site internet de l’École.