[Vidéo] Pouvoir et éthique de responsabilité

Le 3 juillet 2018, la 3ème soirée de l’encadrement – session 2018 – de l’ENPJJ a porté sur les liens entre pouvoir et éthique de responsabilité. Une conférence de Laurent BIBARD, philosophe, à retrouver en vidéo.

[Vidéo] Pouvoir et éthique de responsabilité

Revivre la 3ème soirée de l’encadrement – Session 2018

Le 3 juillet 2018, la 3ème soirée de l’encadrement – session 2018 – de l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse a porté sur les liens entre pouvoir et éthique de responsabilité. Une conférence de Laurent BIBARD, philosophe, à retrouver en vidéo.

Le mardi 3 juillet 2018, le pôle territorial de formation Sud-Est (Marseille – Bouches-du-Rhône) de l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ) a accueilli la 3ème soirée de l’encadrement. Donnée par Laurent BIBARD, philosophe, la conférence a porté sur les relations entre pouvoir et éthique de responsabilité.

 

 

 

 

 

Lila BENARAB et Pierre CAMMARATA, chargés de la mission pour la formation des cadres tout au long de la vie au sein du service de la formation de l’ENPJJ, étaient présents pour introduire la soirée et rappeler aux participants la philosophie de ces conférences thématiques déclinées depuis 2 ans sur tout le territoire et ouvertes à toute personne occupant des fonctions d’encadrement, dans le secteur public comme privé. « L’intention de ces soirées est simple », explique Pierre CAMMARATA. « Prendre le temps de réfléchir sur des thèmes qui relèvent du management, proposer un accroissement des connaissances mais aussi d’échanger entre vous ». Le cycle de l’année 2018 porte sur le thème du pouvoir, décliné en 5 thématiques. Le 3 juillet, pouvoir, éthique et responsabilité étaient donc à l’honneur de l’échange entre le conférencier et les personnalités présentes, sur un mode participatif.

Après avoir dégagé les différentes définitions des termes principaux, Laurent BIBARD a axé son intervention, en s’appuyant sur des exemples concrets, sur le nécessaire équilibre entre l’intériorisation des pratiques (le réflexe) et la réflexion sur ces mêmes pratiques face aux situations, tout en favorisant une dynamique d’échange et de libre parole entre collaborateurs, afin de susciter une prise de conscience qui relèverait de l’éthique de responsabilité du manager.

 

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Pouvoir, éthique et responsabilité

Le pouvoir, c’est l’enfer et l’enfer, c’est les autres

La première partie des échanges s’est orientée sur des définitions possibles de ces 3 notions et à leur pouvoir d’évocation. Le pouvoir rendrait tantôt fou, tantôt seul, potentiellement inexistant dans un contexte de forte contrainte institutionnelle. Sans éthique, il serait dangereux. Il irait de pair avec la responsabilité. Mais surtout, il est indissociable d’un rapport à l’autre, cet autre qui nous accorde du pouvoir.

 

Rappel étymologique

L’origine du mot éthique est grecque, éthos, qui signifie ‘comportement’, à l’instar du terme latin ‘mores’, qui a donné morale. « L’éthique et la morale veulent dire la même chose », explique Laurent BIBARD. « Dans [cette définition originelle du] comportement. Il n’y a pas de notion de bien ». L’éthique ne serait alors que ce que l’on fait, sans faire appel aux notions de bien ou de mal. Les comportements sont multiples, mais tout se vaut.

Ce rappel a pour mérite de faire tomber certaines représentations et oriente le débat vers la question des normes. « La norme est très proche d’une conviction », déclare le philosophe. « La différenciation entre le bien et le mal est faite quelque part. On doit prendre en compte cette exigence ».

La responsabilité se loge dans l’interstice de la relation entre ce qu’il faut faire et ce que chacun fait.

L’éthique peut alors faire l’objet de 3 définitions :

  • Ce qu’il faut faire, ou l’éthique comme norme ;
  • Ce que l’on fait, ou l’éthique comme comportement ;
  • Le rapport entre ce qui doit être fait et ce qui est effectivement fait, ou l’éthique de responsabilité.

Laurent BIBARD mentionne les chartes éthiques et autres déclarations d’intention qui se limitent à cela. Comment articuler le rapport entre ce que l’on dit et ce que l’on fait ?

La théorie des baïonnettes intelligentes

Le philosophe distingue deux choses :

- ce que l’on doit faire d’après une règle, une norme, une loi ;

- ce que l’on doit foire en soi, ce que les Grecs appellent le droit naturel.

Pour Aristote, le droit à la justice dépend des circonstances. « A chaque instant, il nous revient de réévaluer le comportement adéquat en tenant compte de la situation donnée et des règles auxquelles on se réfère », explique Laurent BIBARD. « On ne peut jamais savoir à l’avance ce que l’on doit faire ». 

Il s’appuie sur l’exemple de l’amerrissage forcé d’un avion survenu le 15 janvier 2009, qui a permis de sauver des vies, mais qui a contraint les pilotes à s’affranchir des directives de la tour de contrôle. Pour cela, les pilotes ont fait l’objet d’un procès pour n’avoir pas obéi à la règle, alors que les circonstances les ont forcés à tenter autre chose. Il s’agit là d’une mise en exergue de la théorie des baïonnettes intelligentes : nul n’est tenu d’obéir à un ordre dès lors qu’il est illégal ou qu’il peut mettre la vie en danger.

 

L’éthique de responsabilité

Une incompréhension à la base d’une réaction en chaine

Pour développer son propos, Laurent BIBARD fait référence à la catastrophe industrielle survenue à Bhopal (Inde) dans la nuit du 3 décembre 1984. Cette usine très productive finit par être déclarée comme insuffisamment rentable et s’apprête à fermer. Le management déserte, les licenciements se multiplient, l’usine se retrouve en sous-effectifs et certains ouvriers spécialisés sont affectés à d’autres tâches.

Une réaction chimique se produit suite à la passation de consignes à la fois mal expliquées et mal comprises. Ce défaut d’explication, cumulé à toute une série de maladresses, dans un climat d’abandon, sera à l’origine de nombreuses victimes.

« On est en plein dans le rapport entre ce que l’on dit, ce que l’on tait et ce que l’on fait », commente le philosophe. « Le terme de responsabilité ne revêt-il pas un sens de « répondre de quelque chose » ? S’il n’y a pas de questions, comment voulez-vous répondre ? ».

Réflexe ou réflexion

L’éthique de responsabilité commencerait irrémédiablement par un entrainement à savoir, à admettre, à oser poser des questions.

« Quand vous savez faire quelque chose, qu’est-ce qui peut vous assurer que vous êtes compétent dans ce que vous faites ? ». Un critère de réussite ? Un objectif atteint ? L’aisance avec laquelle on l’atteint ? Le fait de se poser la question ?

Le risque serait alors le suivant : c’est lorsque l’on croit que l’on sait faire et qu’on ne se pose plus de questions que l’accident se produit.

« A force de pratiquer, on internalise la réflexion, les commandements, en les vivant, à tel point qu’on en acquiert l’habitude », explique Laurent BIBARD. « Le bon effet de l’habitude c’est de faire de manière réflexe ce qu’on nous a d’abord dit sur le mode de la réflexion ».

Quand les règles sont incorporées, le corps devient la source des règles. Dans les organisations existe une masse de silence gigantesque, celle des compétences. Or, sans remise en question, sans réflexion, sans évocation, ce silence finit par devenir gage de qualité. Ces compétences solidement ancrées, invisibles et inconscientes finissent par devenir un sol sur lequel on s’appuie. « Quitter le sol solide sur lequel nous sommes c’est dangereux », précise le philosophe. « C’est abandonner nos croyances, nos certitudes, nos valeur et ne pas savoir où l’on va » ».

La mise en tension entre ces pratiques inconscientes et les normes (la réflexion), correspond, en philosophie, au « gouffre de la prise de conscience de soi ». Mettre en réflexion ce qui est devenu un automatisme de penser suppose que l’on accepte le risque d’une instabilité – et donc d’un malaise – du fait de la perte momentanée de certitudes acquises au cours de nos apprentissages.

Réflexe ET réflexion

Au quotidien, dans la gestion de l’urgence, il est facile de ne réagir qu’aux réflexes, de ne plus réfléchir, d’être dans le comportement. Mais parfois, des situations permettent de prendre du recul, de réfléchir à nouveau. L’imprévu (un accident, …) provoque une disruption qui peut générer de l’innovation. On tente quelque chose. Une sidération enclenche une lucidité réelle.

L’application inconsciente des règles est dangereuse. « La responsabilité c'est le mouvement permanent d'apprendre des normes, au point qu'elles deviennent des pratiques inconscientes mais d'être toujours vigilants pour désapprendre quand les normes ne sont plus les bonnes », explique Laurent BIBARD « C'est douter, sans juger, rediscuter les choses à faire et réapprendre continuellement ».

Le pouvoir, c’est les autres

La solitude du patron rend fou. La vertu des voisins, des amis, des collaborateurs, c’est d’oser dire ce qui ne va pas.

« Le rapport à l'autre dans une capacité de contestation, de controverse, d'explicitation, ça réveille le collectif », précise le philosophe. « Si on devient capables d'être en désaccord, d'expliciter, ça devient très fructueux ».

Bien manager – détenir le pouvoir – c’est permettre une parole libre. Pour bien manager, les autres sont nécessaires.

Une vision à des lieues de celle que véhiculent traditionnellement l’administration et les grosses organisations à force de procédures, de contrôles et d’inspections de contrôles.

L’objectif à terme n’est bien sûr pas d’opérer une révolution, mais de favoriser une dynamique.  « N’attendez pas qu’on vous autorise à être libres, faites-le », conseille Laurent BIBARD.

Le dire, c’est bien

Il est plus commun de parler de ce qui ne fonctionne pas. Le philosophe suggère d’initier une dynamique de travail qui repose sur tout l’inverse : parler de ce qui fonctionne, faire parler des compétences de chacun, de sorte qu’un collaborateur prenne conscience de lui-même, solliciter une explication consciente et volontaire de ce que l’on sait et de ce que l’on ne sait pas. C’est cela, initier le changement, et surtout, la vigilance.

Le manager doit activer la tension entre le comportement (ce que l’on fait inconsciemment) et les normes. C’est cela, son éthique de responsabilité.

La taille ne compte pas

Il est facile de renoncer lorsque la tâche paraît immense à accomplir. Laurent BIBARD conseille de commencer modestement afin d’initier cette dynamique. Les petits pas peuvent provoquer progressivement de grands changements. « C’est une grande ambition de faire attention aux petites choses », conclue le philosophe. « Réfléchir global et agir local ? Non. Réfléchir de manière ajustée ». 

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La quatrième soirée de l’encadrement se tiendra le jeudi 4 octobre 2018 à l’École Nationale du Génie de l'Eau et de l'Environnement de Strasbourg (ENGEES). La conférence, intitulée Éthique de la sollicitude et exercice du pouvoir », sera donnée par Pierre-Olivier MONTEIL, docteur en philosophie politique et chercheur associé au Fonds Ricœur.