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Le 5 juin 2018, l’ENG a accueilli la 2ème soirée de l’encadrement de l’ENPJJ – session 2018. Une conférence sur le thème « Pouvoir et autorité » à retrouver en vidéo.
[Vidéo] Revivre la 2ème soirée de l’encadrement 2018 : Pouvoir et autorité
Le 5 juin 2018, l’École nationale des greffes (ENG) a accueilli la 2ème soirée de l’encadrement de l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ) – session 2018. Une conférence sur le thème « Pouvoir et autorité » à retrouver en vidéo.
Pouvoir et autorité
Le mardi 5 juin 2018, près de quarante participants (professionnels de la Protection judiciaire de la jeunesse, de la direction des services judiciaires, d’administrations territoriales et du secteur associatif) étaient présents à l’École nationale des greffes (ENG) pour la 2ème soirée de l’encadrement de l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ). Le cycle de ces conférences, initié en 2017, porte cette année sur les articulations entre pouvoir et management. « Les cadres ont des préoccupations communes mais ne se dégagent pas toujours de temps pour la formation », explique Lila BENARAB, chargée de mission formation des cadres à l’ENPJJ. « L’objectif de ces soirées nomades [accueillies par différentes institutions sur tout le territoire national] est d’être au plus près des cadres et des administrations ».
Cette seconde conférence, donnée par Bruno ROCHE, a porté sur les relations entre pouvoir et autorité. Professeur agrégé de philosophie et directeur du Collège Supérieur à Lyon, Bruno ROCHE est tout d’abord revenu sur la philosophie de son établissement, dont la vocation est de reposer la question du sens là où certains domaines (santé, droit, éducation, …) risquent d’être absorbés par la mécanique des processus qui les gèrent. « Le Collège supérieur est un lieu de la libre pensée, qui s’adresse aux acteurs de la cité dont les métiers ou responsabilités tendent bien souvent à être dévorés par des processus techniques », explique le philosophe.
Une autorité en crise
L’articulation entre pouvoir et autorité est porteuse, au prisme de la philosophie, d’une tension. « Le pouvoir ou le recours au pouvoir suppose toujours l’exercice d’une contrainte, d’une certaine coercition », explique Bruno ROCHE. « Lorsque le pouvoir prétend le contraire, il s’illusionne et il nous illusionne ». L’autorité viendrait, pour toute époque et toute pensée politique, résoudre le problème que le pouvoir pose. Elle réduirait la contrainte du pouvoir par un mécanisme d’adhésion consentie, de consentement sans contrainte.
Or, l’autorité est depuis une cinquantaine d’années, décriée, remise en cause. Cette crise de l’autorité, façonnée par les « événements de Mai 68 », prive ainsi le pouvoir de toute autorité instituée. Privé de cette autorité, le détenteur du pouvoir se doit donc de faire autorité. « Le défaut d’autorité instituée nous oblige à incarner cette autorité qui fait maintenant défaut », explique le philosophe. Managers, instituteurs, juges, médecins, tous sont concernés. Au-delà des hommes, cette crise serait fondamentalement une crise des institutions – des autorités instituées – dont Bruno ROCHE retient trois aspects : la crise de la transcendance, la crise de l’Institution et le principe de consentement.
La crise de la transcendance
Devant l’autorité, chacun s’incline. L’autorité dégagerait quelque chose d’admirable, d’intouchable, de l’ordre du mystique, du sacré, à l’image de l’autorité parentale. « L’autorité contemporaine a perdu son sacré », a estimé Régis DEBRAY. Si le juge peut être considéré comme intouchable, l’enseignant, qui n’a plus d’habit distinctif, n’a plus rien pour s’élever au-dessus de ceux à qui il s’adresse. Les individus seraient devenus trop sceptiques, trop critiques, pour envisager qu’une chose puisse encore être sacrée. « Nous sommes entrés psychologiquement et sociologiquement – et il est très clair que Mai 68 marque un moment décisif –dans le monde de l'immanence », explique Bruno ROCHE. « Un monde sans autorité ».
La crise des institutions
Cette crise de l’autorité est une crise, outre des institutions, de l’État, qui se traduit par trois signes :
- L’individualisme. Le philosophe explique que l’on serait passé d’une société holiste (une société de la totalité, dans laquelle les institutions priment) à une société individualiste. L’individu ne s’inclinerait plus alors que devant lui-même, adoptant un point de vue d’emblée critique sur les autorités instituées. « L’individu les regarde selon le critère de la société individualiste : l’intérêt », explique Bruno ROCHE. « Voilà pourquoi Mai 68 est la collusion absolument fantastique de l’individu et de l’idéal libéral libertaire, que résume bien la chanson de Jacques DUTRONC ‘Et moi, et moi, et moi’ ». La culture de 1968, dont on ne retient que des slogans, des graffitis et des photos, aurait été réduite à l’état de flash.
- Le passé. Les autorités instituées « regardent du passé » et ne se réveillent pas assez vite pour être reconnues comme adaptées au temps présent. « Les autorités instituées apparaissent toujours comme ayant une justification empruntée à l’Histoire », explique le philosophe. « Mais tout se passe comme si cette justification avait de moins en moins de poids dans une société où tout va plus vite ».
- La transparence. Le propre de l’autorité instituée est de susciter une forme d’adoration quasi-mystique. Or, la transparence dissipe l’illusion.
L’extension du principe de consentement
Les événements de mai 68 auraient été marqués par la protestation contre le mandarinat dans tous les registres de la société (universitaire, …). Elle s’accompagne de la promotion d’un principe de consentement, qui sous-tend que l’on ne peut plus contraindre quelqu’un à faire quelque chose à quoi il n’aurait pas consenti. « Nous sortons d’une société de l’obéissance structurée par les autorités instituées – Etat, enseignement, justice, médecine – pour entrer dans le régime du consentement, plus ou moins critique et éclairé par l’information dont dispose le sujet », explique Bruno ROCHE. Cette force du consentement devient un élément crucial. De nombreux exemples illustrent ce changement de paradigme qui s’est opéré depuis une cinquantaine d’années :
- Dans la sphère familiale, l’autorité paternelle s’accompagne désormais de l’autorité maternelle et le consentement (de la femme, de l’enfant) est devenu un élément déterminant ;
- La relation d’enseignement s’est inversée. L’enseignant qui a recours à la contrainte a échoué. Il quête sans arrêt l’approbation de ses élèves ;
- En matière de management et d’animation locale des équipes, il est là encore indispensable d’obtenir le consentement pour susciter l’adhésion ;
- En médecine – métier dans lequel résidait la plus grande dissymétrie informationnelle, « le mandarinat médical s’est effondré », explique le philosophe. « Le critère de transparence a rendu le patient adulte et a donné la capacité de donner son consentement ou de l'enlever ». Les médecins intègrent aujourd’hui les infirmiers dans le processus de décision.
« Quelle place pour la décision ? »
L’extension du principe de consentement aboutit à ce que les philosophes énoncent comme suit : aucune parole ne peut être au-dessus du débat. C’est le propre de la société contemporaine, celle des individus, celle du consentement, celle de la crise des autorités instituées.
Une parole « au-dessus du débat » est en capacité d’initier un échange et de pouvoir le conclure. Peu à peu, ceux qui en étaient dotés (enseignant, médecin, …) s’en sont trouvés privés. En entrant dans le débat, chacun perd ce point de vue d’autorité. La parole s’égalise. On sait dès lors initier un débat, mais le problème réside dans le fait de pouvoir le conclure, de trancher, de décider. « Dès lors que le pouvoir doit s’exercer selon la modalité du consentement, […] est-ce que la décision va apparaître comme un coup de force, qui finalement fait tomber le château de cartes de l’édification d’un sensus communis ? » questionne Bruno ROCHE. Le cas de conscience se déplace du côté de la décision, ce qui explique la multiplication de formations consacrées à l’art de décider.
« T’es qui, toi ? »
Comment se repense l’art de la décision dans l’exercice d’un pouvoir dénué d’autorité instituée ?
La question peut se poser dans de nombreux domaines, y compris dans le cadre familial, où l’autorité des parents a pendant longtemps brillé d’une espèce d’aura sacrée qui l’aura placé au-dessus du débat. Mais débrayé de l’autorité, le pouvoir apparaît nu et s’expose. Le « tu dois » des parents se substitue à « T’es qui pour m’imposer ça ? » des enfants. Le même constat peut être fait dans les entreprises – là où les managers et chargés de recrutement doivent de plus en plus faire face à cette question en entretien d’embauche – ou encore dans le monde de l’enseignement.
« Quand vous êtes devant la nécessité de justifier la responsabilité qui vous a été confiée », explique le philosophe, « il y a une révolution culturelle qui est très compliquée à faire et qui consiste tout simplement à descendre de l’estrade ».
Les événements de mai 68 ont fait disparaître les estrades et les rangées. Les estrades étaient considérées comme le symbole de l’autorité instituée qui n’a pas à démontrer perpétuellement sa légitimité. La rangée était considérée comme le symbole du professeur qui surveille dans le dos ses élèves. Ces derniers auraient fait front pour revendiquer des droits. « Cet air du consentement donne à chacun la possibilité de poser des questions, de demander des comptes », relativise Bruno ROCHE. « Mais c’est une société très fatigante dans laquelle ne vont survivre que les plus forts ». En effet, jamais une société n’a demandé aux acteurs de faire leurs preuves avec autant de régularité et de récurrence. Chaque nuit efface tout ce qui a été fait. Chaque matin, le champ des possibles est ouvert.
« Pouvoir sur » et « pouvoir de »
Bruno ROCHE distingue le « pouvoir sur » et le « pouvoir de ». Le « pouvoir de » peut être défini comme « l’ensemble des capacités dont nous disposons pour être à la hauteur du pouvoir qui nous est confié ». Ce « pouvoir de » exige-t-il du « pouvoir sur » ? Exige-t-il l’exercice d’une contrainte plus ou moins violente et arbitraire ?
La disparition d’une autorité instituée a fait émerger un principe qui demeure le paroxysme d’une société individualiste, à savoir que seuls les individus font autorité. « Il n’y a maintenant que des individus qui sont enjoints à faire autorité et substituer leur autorité propre à l’autorité des institutions », explique le philosophe, selon lequel tout s’est inversé. Il s’agit désormais pour l’individu de faire lui-même autorité dans sa discipline (médecine, enseignement, …). Rien ne vient lui conférer une autorité extérieure. L’autorité doit émaner de celui qui parle, décide, agit, pas de l’institution à laquelle il appartient. C’est ce que critiquent les jeunes générations, qui se posent les premières comme une instance critique de ces autorités instituées : « le doigt sur la couture du pantalon ». « La jeune génération demande à son interlocuteur de répondre de lui-même, de ne pas se cacher derrière la fausse autorité de l'institution – il n’y en a plus – mais de manifester sa légitimité par l'autorité de sa propre personne, par l'autorité qui émane de la manière dont il exerce sa responsabilité », relate Bruno ROCHE.
Il ne s’agit ni plus ni moins qu’une demande de sens.
Vers la société du sens
Les philosophes soulignent un lien très intime entre le sens et le consentement. Du consentement naît un désir de coopérer à une œuvre commune qui peut s’apparenter au bien commun. « Si nous sommes entrés dans une société du consentement », déclare le philosophe, « c’est de toute nécessité que nous entrons dans une société du sens ». Le propre du consentement est d’interroger sur les raisons. Contrairement à l’obéissance passive, le consentement pose des questions, celles des raisons, et donc du sens.
D’une éthique de la résilience à une éthique de la coopération
« Nous sommes entrés dans une éthique de la résilience », poursuit Bruno ROCHE. Les citoyens du monde auraient une énorme responsabilité sur la résilience des systèmes qu’ils produisent. Un système résilient permettrait une certaine durabilité. Bruno ROCHE fait appel aux travaux de Bernard STIEGLER (philosophe, auteur notable de « Dans la disruption, comment ne pas devenir fou ? ») et d’Adam SMITH (philosophe, économiste, notamment auteur de « Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations »). La société évoluerait vers un nouveau concept de richesses autrefois relayé par l’activité économique libérale. Il s’agirait désormais de réinventer un nouveau concept de richesses. STIEGLER défend l’idée d’un triangle « politique », « économique » et « philosophique » pour redéfinir ce concept. « Il faut une véritable collaboration entre ces trois expertises pour qu’une nouvelle définition de la richesse soit donnée », explique Bruno ROCHE.
Cette éthique de la résilience doit conduire à une éthique de la coopération. Dans un récent colloque sur l’art de coopérer, dont les actes sont dernièrement parus, Bruno ROCHE défend l’idée selon laquelle l’éthique de la coopération, qui est une éthique où c’est en étant soi-même partie prenante à part égale de l’œuvre commune que l’on pourra faire autorité dans son management.
Cette capacité à coopérer, compétence collaborative promue par le Réseau des Écoles de service public (RESP) dont l’ENPJJ et l’ENG sont parties prenantes, fera l’objet d’un atelier du service public organisé par l’ENPJJ en 2019.
Des échanges soutenus
Pouvoir et autorité régalienne
L’un des participants, à l’issue de la conférence, s’interroge sur la manière de réinventer l’autorité dans un ministère – le ministère de la Justice – par essence d’autorité. La prison est-elle l’avenir des peines dans une société en quête du consentement de tous, y compris des personnes détenues ? Une recherche de consentement légitimement difficile à mettre en place pour une autorité régalienne qui n’aurait de compte à rendre qu’à l’État. Bruno ROCHE fait le pari de la raison. « Croyons dans le fait que la discussion entre les parties prenantes, l’éthique communicationnelle, va permettre de produire un sens commun », explique-t-il en référence aux propos du philosophe Jürgen HABERMAS qui ont pu s’illustrer dans les forums citoyens. Placés dans de bonnes conditions de délibération, les passions écartées, les citoyens seraient en capacité d’accéder à une raison commune à la base de l’éthique communicationnelle.
J. HABERMAS va plus loin en s’appuyant sur une tradition intellectuelle occidentale qui pose la vérité au commencement. Tout le reste ne serait qu’une pâle imitation, qu’une dégradation, de cette vérité posée au départ. « La révolution copernicienne opérée par la modernité c'est que cette vérité du début n'y est plus », explique le philosophe. « Notre responsabilité c'est d'en retrouver une ». Trouver à la fin suppose de débattre en amont. Bruno ROCHE met toutefois en garde contre « la capacité qu’a la raison à se déguiser en prenant en charge les intérêts », en référence aux lobbys. « Soit on décide tous ensemble de ce qu'on veut être soit nous sommes emportés par le défaut de résilience des systèmes que nous avons produits ».
Faire bouger les lignes hiérarchique et fonctionnelle ?
Une autre participante issue de la sphère administrative évoque les lignes hiérarchique et fonctionnelle et établit un parallèle avec les « entreprises libérées » (concept évoqué lors d’une soirée de l’encadrement consacrée au management et à l’humanisme). Espaces collaboratifs et lignes hiérarchique et fonctionnelle ne sont certes pas incompatibles, mais peuvent connaître des difficultés à coexister dans une administration peut-être encore trop figée sur les responsabilités, les capacités, les grades et les titres. Au-delà de la simple question de simplification administrative, Bruno ROCHE met en garde contre le concept d’entreprise libérée, qui ne peut fonctionner à long terme et dans des organisations trop volumineuses.
Radicalisation et renoncement à la raison
Un professionnel de la PJJ soulève la question de la radicalisation, qui concerne un nombre important de jeunes impliqués par « des mécanismes de pensée radicaux et caractérisés par le renoncement à la raison et la soumission à une espèce de pensée immanente ». Comment comprendre ces mécanismes et les appréhender ?
« Pour des gens qui n’ont ni intégration sociale, ni confiance dans la raison, ni capacité d’exercer cette raison, la dernière issue est de se bricoler une foi et de devenir quelqu’un en la défendant », explique Bruno ROCHE. Une logique tribale se reconstituerait, conséquence d’une défaite de la raison dont nous serions tous responsables. Cette radicalité émotionnelle serait la conséquence d’un relativisme ambiant.
Pierre CAMMARATA, chargé de mission pour la formation des cadres à l’ENPJJ, évoque en guise de propos conclusifs des rapprochements à opérer avec la place de l’influence, du leadership, de la soumission à l’autorité ou de la « servitude volontaire » ; des thèmes qui pourraient pour la plupart faire l’objet d’un développement plus approfondi au cours de prochaines conférences.
La troisième soirée de l’encadrement se tiendra le 3 juillet 2018 au pôle territorial de formation Sud-Est (Marseille – Bouches-du-Rhône) de l’ENPJJ et portera sur le thème « Pouvoir et éthique de responsabilité ».