[Vidéo] Le management par le bien-être : des intentions aux réalités

Le 22 mai 2019, la première soirée de l’encadrement du cycle 2019 de l’ENPJJ s’est tenue à l’IRA de Lyon, sur la thématique du management par le bien-être. Une conférence à réécouter en ligne.

[Vidéo] Le management par le bien-être : des intentions aux réalités

Retour sur la 1ère soirée de l’encadrement – édition 2019 – de l’ENPJJ à Lyon

Le 22 mai 2019, la première soirée de l’encadrement du cycle 2019 de l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse s’est tenue à l’Institut régional d’administration de Lyon, sur la thématique du management par le bien-être. Une conférence à réécouter en ligne.

Le mercredi 22 mai 2019, l’Institut régional d’administration (IRA) de Lyon a accueilli la première soirée de l’encadrement – édition 2019 – de l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ). Près d’une soixantaine de participants issus d’administrations diverses (douanes, administration pénitentiaire, collectivités territoriales, …) étaient présents pour écouter cette conférence de Michel ALBOUY, professeur des universités en sciences de gestion, intitulée « Le management par le bien-être : des intentions aux réalités ». Une conférence à (ré)écouter en podcast/vidéo.

 

 

Suite à l’allocution d’ouverture de Pierre-Henri VRAY, directeur de l’IRA de Lyon, Anne DEVREESE, directrice générale de l’ENPJJ a rappelé « l’ambition de marquer nos liens avec d’autres écoles mais aussi d’offrir un moment de réflexion, de recul et de partage sur des thèmes transversaux reliés à des thématiques managériales ». « Notre idée, c’est de partager », a-t-elle conclu en rappelant que l’ensemble de ces conférences sont disponibles sur le site internet de l’ENPJJ.

Michel ALBOUY oriente l’essentiel de son intervention autour d’un article intitulé « Le management bienveillant, c’est ceux qui en parlent le plus qui en font le moins », accessible en ligne sur le site The Conversation. Management bienveillant, care, slow management, paix économique, nombreux sont les termes obscurs qui désigneraient au final la même chose, ou peu s’en faut. Une nouvelle mode managériale ? Une énième mode bientôt dépassée ? Une façon d’améliorer le bien-être des salariés ? D’améliorer la performance des organisations ? Un double discours ? Une rhétorique vide de sens ? C’est à la suite de nombreuses interventions au sein de grandes entreprises essentiellement que Michel ALBOUY se propose de déconstruire certaines représentations d’un management dit bienveillant.

L’essentiel de son intervention a porté sur l’apparition du concept de management bienveillant – inspiré de la notion de care – en tant que système organisé, avant de revenir sur ses modalités de mise en œuvre, notamment à travers la figure du chief hapiness officer (responsable en chef du bonheur) et ses limites.

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Du care au management bienveillant

Une idée pas si ancienne

Le management bienveillant serait issu de la pensée du care, qui introduit des enjeux éthiques dans les entreprises. Soin, attention à autrui, sollicitude, … la vulnérabilité des collaborateurs est placée au cœur d’une problématique de management. Mais manager avec care, est-ce possible ?

John ROWLS et Carol GILLIGAN ont développé toute une littérature qui affirme l’importance de l’attention qu’il faudrait porter aux autres. Aussi la problématique n’est pas ancienne. Le concept de management bienveillant revient régulièrement depuis une dizaine d’années.

Plusieurs raisons expliquent cette émergence :

  • La transformation du travail, avec la digitalisation. « Les collaborateurs ont le sentiment de ne pas s’y retrouver », explique Michel ALBOUY. « On collecte des tas d’informations, on a des systèmes d’information, de reporting. […]. Le système d’évaluation, de suivi des collaborateurs, devient plus prégnant qu’auparavant ».
  • Des exigences de plus en plus fortes, dans les entreprises privées (comme publiques) placées sous le feu de la concurrence, issue elle-même d’univers de compétition exacerbée
  • Un désengagement des collaborateurs, qui ont le sentiment de ne plus s’y retrouver, qui sont en recherche de sens.

« Avec le management bienveillant, on va s’efforcer de redonner un sens au collectif de travail », précise Michel ALBOUY.

Quelques recettes pour la mise en œuvre

Un salarié heureux est 31% plus productif, 6 fois moins absent, 55% plus créatif, … le professeur invite les participants à prendre avec des pincettes les études « sérieuses » qui se multiplient pour garantir le bienfondé de la mise en œuvre d’une démarche de management bienveillant. De nombreuses recettes existent pour expliquer aux managers et dirigeants comment introduire le concept :

  • Redonner du sens au travail. « Faire en sorte que les collaborateurs comprennent leur contribution, leur position dans la chaine, qu’ils voient que ce qu’ils font est utile et important », précise Michel ALBOUY.
  • Faire la chasse aux tâches inutiles ;
  • Éviter les relations professionnelles « toxiques ».
  • Valoriser les collaborateurs performants. « Mais pas trop », nuance le professeur. « Sinon on va dévaloriser les moins performants et les rendre moins heureux ».
  • Créer des espaces de travail conviviaux, au-delà des open spaces.

Une volonté du top management

Le management bienveillant doit partir du sommet. C’est un système organisé, pensé et surtout, pas désintéressé. Michel ALBOUY s’appuie sur les travaux de Teresa AMABIL et de Steven KRAMER qui, dans The Progress Principle, expliquent comment dépasser la crise du désengagement des employés et aider les managers à maximiser la performance de leurs collaborateurs.

Un système organisé

Michel ALBOUY clarifie la confusion en invitant les participants à bien distinguer le management bienveillant du manager bienveillant :

  • le management bienveillant est un système d’organisation qui suppose une volonté du centre. Il ne nait pas spontanément.
  • le/la manager bienveillant(e) est un homme ou femme, face à des collaborateurs.

« Vous pouvez avoir des gens qui sont des managers bienveillants dans une entreprise où on n’a pas pensé en haut l’organisation et la mise en place d’un management bienveillant », précise Michel ALBOUY.

C’est nouveau, c’est beau, c’est CHO

Le professeur revient longuement sur la consécration, la preuve même de l’existence de ce système avec la création, ex nihilo dans certaines entreprises, d’un chief hapiness officer (CHO), ou manager. Les exemples se multiplient dès les années 2000 avec l’apparition, plutôt dans les entreprises de la Silicon Valley, de ce genre de profil, dont la principale fonction est d’organiser un management bienveillant. La localisation n’est pas si anodine. Ces entreprises, qui reposent sur l’innovation, auraient pris conscience qu’un bon salaire et de bons avantages ne suffisent pas pour garantir la productivité de leurs salariés. Ils doivent être heureux dans leur univers de travail. L’idée n’est pas si nouvelle en soi – la motivation comme facteur d’engagement, le bien-être comme source de fidélité – mais les exemples de mise en œuvre se multiplient au-delà des pages des ouvrages théoriques traitant du sujet.

Des missions précises

Le CHO organise un management bienveillant en mettant en œuvre plusieurs actions :

  • Instaurer une culture de travail positive. « Les réseaux internes mettent en évidence tout ce que l’organisation, les gens, font de bien », explique Michel ALBOUY. « Le discours sur l’échec est tourné de façon positive. »
  • Améliorer les relations internes et créer du lien social. Au-delà de la rencontre fortuite en machine à café, se développent des événements organisés.
  • Éviter que des obstacles puissent entraver le travail des salariés.
  • Organiser des activités fédératrices. À l’interne (séminaires de cohésion, team building, …), mais aussi (hélas) à l’externe, en dehors des heures de travail.

C’est là que le système commence à montrer ses limites.

Critiques, limites et effets pervers du management bienveillant

Un effet pervers

Le management bienveillant, en tant que système, serait « d’essence totalitaire », c’est-à-dire total, englobant. « Il n’admet pas la critique car il veut le bien de tous. Comment peut-on être contre un système qui veut mettre en place le bonheur ? », questionne Michel ALBOUY. Les employés récalcitrants finissent stigmatisés, considérés comme des éléments négatifs, voire rejetés. Il ne s’agirait plus désormais que de bien faire son travail, mais d’adhérer à des valeurs.

La réalité de la souffrance au travail

La souffrance au travail est une réalité. Les cas de burn-out se multiplient. Ils touchent même parfois les CHO eux-mêmes. Les collaborateurs ont parfois du mal à s’adapter au changement, à devoir toujours faire plus avec toujours moins. Cela peut occasionner des drames, des formes de management inspirées de la terreur, des injonctions paradoxales qui fragilisent les collaborateurs, voire des raisonnements ubuesques, à l’instar du concept de people with problems (PWP), poussé à son paroxysme. C’est ainsi que des dirigeants se voient contraints d’identifier des PWP au sein de leurs équipes au cas où des ajustements (de personnels) seraient à prévoir…

Un double discours ravageur

Le management bienveillant est souvent vanté dans les discours, porté par une direction qui arbore fièrement sa politique de responsabilité sociale et environnementale (RSE) à grand renfort de communication. La réalité est qu’il arrive qu’il y ait un écart entre ce qui est dit (promu, vanté) et ce qui est fait. Une dissonance s’observe entre les discours et les pratiques, ce qui perturbe les collaborateurs.

Il est également possible de constater un écart entre le discours sur la bienveillance porté et sur les fortes exigences de résultats qui pèsent sur les salariés. « Le management bienveillant va s’arrêter là où les résultats ne sont pas là », explique Michel ALBOUY. Mais ce double discours s’avère contreproductif, dans la mesure où il :

  • disqualifie la parole des dirigeants ;
  • crée une tension chez les salariés ;
  • dégrade le bien être au travail.

Une notion inadaptée déjà dépassée ?

« Le manager n’a pas à être bienveillant », estime Michel ALBOUY. « Mettre l'accent sur la notion de bienveillance managériale de mon point de vue est une manière, pour les organisations, de retourner le problème en leur faveur en laissant penser que ce serait la responsabilité des managers ». Cela ne veut bien sûr pas dire qu’il faut être malveillant. Qui plus est, il semblerait que ce concept soit déjà dépassé, au profit d’un autre, le feel good management. Ce nouveau mode de management devrait remettre l'accent sur la relation entretenue entre le manager et le collaborateur tout en sortant du système organisé du management « bienveillant ».

« Une nouvelle mode ? À suivre », conclut Michel ALBOUY.

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La seconde soirée de l’encadrement, intitulée  « Le bien-être du manager pour un management par le bien-être », se tiendra le mercredi 26 septembre au site central (Roubaix – Hauts-de-France) de l’ENPJJ.