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Le 5 avril 2018, l’ENPJJ a inauguré le 2ème cycle des conférences des soirées de l’encadrement. A retrouver en vidéo.
[Vidéo] Construction personnelle et rapport au pouvoir
Le 5 avril 2018, l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse a inauguré le 2ème cycle des conférences des soirées de l’encadrement. Une première session à retrouver en vidéo.
Pouvoir et management
En 2018, la mission de formation des cadres de l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ) propose un nouveau cycle de conférences dans le cadre des soirées de l’encadrement. Après une année 2017 placée sous le signe de la posture managériale (à retrouver en vidéo), la session 2018 propose, au cours de 5 conférences, d’interroger les rapports entre pouvoir et management. Le 5 avril 2018, le site central (Roubaix – Hauts de France) de l’ENPJJ a accueilli la première conférence, donnée par Vincent de GAULEJAC, sociologue clinicien.
Cadres de la fonction publique et directeurs des services en formation statutaire, ils étaient près de 80 participants réunis pour cette conférence portant sur le thème : Construction personnelle et rapport au pouvoir.
Engagement personnel et autorisation à diriger
« Que cherche-t-on en devenant cadre ? […] Qu’est-ce qui peut bien nous pousser à vouloir exercer une autorité sur nos semblables, quand bien même cette autorité est légitimée par l’histoire et l’organisation de nos systèmes, et matérialisée dans des organigrammes et des arrêtés ? », a déclaré Frédéric PHAURE, directeur du service de la formation de l’ENPJJ, au cours de son allocution d’ouverture. « Tous ces éléments-là ne suffisent pas à répondre à cette question pourtant première : qu’est-ce qui, en nous-mêmes, nous amène à croire que diriger / manager les autres est tout à fait normal ? […]
L’engagement personnel et l’autorisation à diriger, voilà au moins deux angles sous lesquels la dialectique de la construction personnelle et du rapport au pouvoir peut nous interroger et nous intéresser. »
Construction personnelle et rapport au pouvoir
Partir de la sociologie clinique
Vincent de GAULEJAC s’inscrit dans le courant de la sociologie clinique, dont le précepte est de partir du vécu, en allant à la rencontre des phénomènes sociaux. Il s’appuie pour cela sur sa propre histoire et évoque, dans un premier temps, sa propre construction personnelle dans son rapport au pouvoir. « La façon dont on pense un problème a quelque chose à voir avec sa propre histoire », explique V. DE GAULEJAC. « Éducateur de rue, j’ai été confronté à deux contradictions, qui vont être des thématiques qui vont traverser tout mon travail de chercheur, d’enseignant, de pédagogue ». Au contact de ces jeunes, à l’époque où s’initie la professionnalisation des éducateurs, le futur sociologue constate :
- Que ces jeunes sont désignés comme inadaptés (par la société, au regard des normes et de la bonne conduite). Considérés comme prédélinquants, ils finissent par coller à cette identité qui leur a été assignée ;
- Que cette étiquette stigmatisante finit par retourner la question de la causalité. « A partir du moment où on les traite d’inadaptés, […] il faut qu’ils s’adaptent à la société », explique V. DE GAULEJAC. « Il faut changer les conditions concrètes d’existence si on veut changer les comportements ».
La « névrose » de classe
En partant des travaux du sociologue Emile DURKHEIM, le point déterminant de sa réflexion sera de traiter toute question d’un point de vue sociologique, puis psychologique, ce qui va l’amener à faire se rencontrer les travaux de Pierre BOURDIEU et de Sigmund FREUD. Il s’agit alors d’essayer de comprendre les destinées humaines, à l’aune des déterminants sociaux et psychiques. « L’important n'est pas ce qu'on fait de l'homme mais ce qu'il fait de ce qu'on a fait de lui », a écrit Jean-Paul SARTRE. Comment l’individu est-il fabriqué socialement ? Pour un même contexte social, chaque individu ne suit pas la même trajectoire qu’un autre. C’est précisément à ces trajectoires que Vincent de GAULEJAC s’intéresse, au fantasme du roman familial (décrit par Freud) – qui permet à la fois de supporter et de corriger la réalité telle qu’elle est – et à la place que chacun se cherche. En s’appuyant sur ces contradictions (décrites notamment par la romancière Annie ERNAUX) vécues par ceux dont les parents investissent un désir de réussite sociale, V. DE GAULEJAC introduit la notion de névrose de classe, une injonction paradoxale vécue par ceux qui subissent un changement de classe sociale (ex : un fils d’ouvrier revendicatif devenant ingénieur suite à son passage à l’École polytechnique, faisant la fierté familiale alors qu’il est pourtant devenu ce qu’on lui aurait presque appris à haïr). Cette « névrose » illustre des conflits, intérieur (honte, …) et extérieur, mais avant tout un phénomène plus social que psychopathologique.
De la lutte des classes à la lutte des places
« On ne choisit pas impunément les métiers du social », rappelle V. DE GAULEJAC. Comment faire lorsque l’on ressent d’un côté ce désir d’aide de l’autre, de relation, de rencontres et que l’on est de l’autre côté dans l’exercice d’un pouvoir qui se traduit par l’imposition de codes, de normes, de la loi ? De nouvelles formes de pouvoir apparaissent.
Le sociologue formule deux hypothèses pour développer son propos suivant :
- L’individu est le produit d’une histoire dont il cherche à devenir le sujet.
- Le sujet est d’abord dans cette réaction de « je », pour advenir comme sujet, se donner le sentiment et / ou l’illusion qu’il peut faire quelque chose de sa propre histoire.
La révolution ne peut changer les choses pour le collectif. L’école peut permettre de s’en sortir, à titre personnel (individualisme). La lutte des classes devient la lutte des places. « Pour exister aujourd’hui, chaque individu est renvoyé à lui-même pour trouver sa place dans la société », explique V. DE GAULEJAC. « On peut changer sa place dans l’ordre mais ça ne change pas l’ordre des places ». Selon P. BOURDIEU, un certain nombre de supports, tels que les capitaux social, culturel ou encore économique, sont indispensables. V. DE GAULEJAC ajoute à ces supports objectifs un nécessaire travail subjectif sur soi-même.
A. ERNAUX a mis en évidence ces ressentis (culpabilité, honte, …) face à l’injonction paradoxale des parents (« Réussis, mais reste comme moi »). Peut-on alors être cadre quand on est issu d’un milieu ouvrier sans trahir ?
Comment se fabrique « je », comme sujet ?
Pour répondre à cette question, le sociologue s’est appuyé sur une méthodologie reposant sur un groupe d’implication et de recherche, composé d’une dizaine de personnes pendant trois jours. Il s’agit de réfléchir sur soi, à partir de témoignages, sur la liberté et l’assujettissement auxquels chacun fait face. V. DE GAULEJAC présente donc le cas de « Mireille », qui a décidé, à 40 ans, indépendamment d’elle, de devenir sujet après une trajectoire ballotée entre deux dépendances (parentale, puis familiale). Cette façon de vouloir devenir sujet, indépendamment d’elle-même, cet oxymore ainsi utilisé peut se comprendre à l’aune de ce à quoi cela peut renvoyer : une crise de la quarantaine, un contexte social en pleine évolution (féminisme, émancipation quant à l’image de la bonne mère et de la bonne épouse véhiculée dans le passé, …), ... Mireille est comme emportée par « l’idéologie de la réalisation de soi ». Dès lors, en s’y conformant, s’agit-il toujours de liberté ou d’asservissement ?
A l’issue de cette première partie, V. DE GAULEJAC propose à l’assemblée deux indicateurs de performance :
- Sortir de la quantophonie, en mesurant ce qu’est « être sujet », au regard de la cohérence entre ce que l’on dit, pense, éprouve et fait. C’est dans la confrontation à l’altérité que le sujet peut advenir ;
- « Le travail, c’est faire de sa vie une œuvre », a dit Hannah ARENDT. Qu’est-ce qui permet de le mesurer ? « Tous les professionnels de la relation sont confrontés à cette question, non seulement par rapport à eux-mêmes mais aussi par rapport à ceux qu'ils sont censés soigner, éduquer, prendre en charge, ... », explique V. DE GAULEJAC. « Faire de notre vie une œuvre, avoir ce goût de l'être ensemble, se cultiver, la construction d'un monde commun, c'est aussi participer à une œuvre collective et c'est un moyen de se réaliser ».
Sujet et pouvoir
Être sujet face au pouvoir renvoie à la question de ce qu’est le pouvoir. A cet égard, deux visions du pouvoir s’opposent :
- La soumission à un pouvoir, qui recouvre la contrainte, la domination, les lois, les normes, les poids de l’héritage, et ce que qui constitue à produire un individu conforme aux normes de son milieu ;
- La capacité d’agir – l’empowerment – d’un individu afin de se construire comme sujet. C’est le pouvoir de faire, de se réaliser, d’advenir comme individu autonome dans la société, de devenir « un premier de cordée ».
Le fardeau de la réussite ou la tyrannie de l’intimité
« Le Moi de chaque individu est devenu son principal fardeau », a écrit Richard SENNETT ; le fardeau de la réussite. Chacun devient responsable de ce qu’il advient dans la société. « Une liberté formidable », estime V. DE GAULEJAC ; une liberté qui manque fortement là où elle n’existe pas (régimes totalitaires, contextes n’autorisant pas de choisir son destin, …). Réciproquement, s’il n’a pas la place qui lui convient, il en est le principal responsable.
V. DE GAULEJAC illustre cet état de fait en s’appuyant sur l’exemple des chômeurs (à qui l’on reproche d’être trop ceci, pas assez cela, de ne pas faire suffisamment d’efforts pour s’en sortir). Le problème est déplacé au niveau de la responsabilité individuelle. Pour lutter contre le chômage, il faut retrouver la croissance. Pour cela, il faut de la compétitivité. Pour l’améliorer, il faut développer des nouvelles formes de management (à l’instar du lean management, qui propose de faire plus et mieux avec moins), mettre en place des politiques de gestion des ressources humaines (GRH) rationnelles, performantes, voire souples, pour au final, réduire les effectifs si nécessaires. Ainsi, selon ce raisonnement, il faudrait à terme et paradoxalement réduire les effectifs pour lutter contre le chômage.
Le manager animateur
La figure du chef a évolué. On est passé d’un pouvoir hiérarchique pyramidal à un pouvoir d’animation. « On n’ordonne plus, on anime des équipes », explique V. DE GAULEJAC. Il s’agit de rendre les gens toujours plus flexibles, mobiles, adaptables afin qu’ils puissent se réaliser et s’épanouir au travail. Le pouvoir serait, selon le sociologue, la capacité à résister au stress.
« Les managers ne sont plus formés pour réduire le stress, mais pour mettre en place des référentiels qui les rendraient vigilants aux personnes vulnérables susceptibles de craquer, pour les sortir du jeu avant qu’ils ne meurent sur le lieu de travail », explique-t-il en s’appuyant sur son analyse d’institutions et d’entreprises (privé comme public).
« Avec ces nouvelles technologies, je suis libre de travailler 24 heures sur 24 heures », aurait dit un jour un cadre en guise d’illustration de ce nouveau paradoxe qui s’inscrit pleinement dans une culture de l’urgence.
La culture de l’urgence
Se rendre disponible, tout le temps, partout. Le management devient une fuite en avant pour ne plus penser aux causes et aux conséquences que cela implique pour les professionnels et l’organisation. A force d’injonctions paradoxales et de réductions des temps pour penser, le mode d’organisation finit par mettre en péril la mission première à l’origine même de la création / nécessité de l’organisation (à l’image d’un médecin qui, après avoir opéré un patient pour le guérir d’un cancer, est sanctionné pour avoir pris plus de temps que prévu sur la fiche de procédure). Les professionnels peuvent alors se sentir complètement démunis et ne plus savoir quel sens donner à leur action.
Face à ces professionnels en poste où en devenir, V. DE GAULEJAC se veut optimiste : « Puisque vous occupez ou allez occuper des positions de pouvoir, peut-être que l’urgence est de sortir de l’urgence. […] C’est dans le diagnostic des paradoxes auxquels on est confrontés que l’on peut trouver les capacités d’une institution à en revenir à ses finalités premières.
La prochaine conférence se tiendra à l’École nationale des greffes (ENG) au début du mois de juin et portera sur les rapports entre pouvoir et autorité.