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Accueil › Neurosciences et émotions à l’honneur de la soirée de l’encadrementNeurosciences et émotions à l’honneur de la soirée de l’encadrement
Le 16 octobre 2024, près de 80 participants ont assisté à la soirée de l’encadrement intitulée « Neurosciences et émotions » au site central de l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse.
Neurosciences et émotions à l’honneur de la soirée de l’encadrement
Le mercredi 16 octobre 2024, le pôle Gouvernance du Service de la formation de l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ) a organisé dans l’amphithéâtre Condorcet du site central (Roubaix – Hauts-de-France) de l’École une soirée de l’encadrement. Intitulée « Neurosciences et émotions », cette conférence, qui a rassemblé près de 80 participants en présentiel et à distance, s'inscrit dans le programme de la semaine du cadre, dispositif de formation continue consacré en 2024 à l'intelligence émotionnelle. Donnée par Albert Moukheiber, chercheur en neurosciences et psychologue clinicien, la conférence a eu pour objectif d’amener une meilleure compréhension des émotions par le prisme des neurosciences.
Passion OU raison : hérésie
« Il n’y a pas de connaissances robustes sur le fonctionnement cérébral de nos émotions », a précisé Albert Moukheiber. Le chercheur s’est dans un premier temps évertué à déconstruire certaines représentations, à l’instar des modèles de pensée opposant systématiquement les émotions et la rationalité. De Spinoza à Descartes en passant par Platon et sa Phèdre, cette opposition tenace, qui le plus souvent donne une perception négative des émotions, serait sans fondement.
Autre représentation à déconstruire, celles des biais cognitifs, qui, s’ils n’interviennent pas uniquement lorsqu’il y a de l’émotionnalité, relèvent plutôt de la psychologie. « On n’est pas responsable des pensées qu’on a mais on est responsable de ce qu’on en fait », a précisé le chercheur en s’appuyant notamment sur le test révélant l’effet Stroop et en évoquant le contrôle métacognitif (« la petite voix »).
Émotions : un tiers-lieu de définitions
Contrairement à la physique quantique ou à l’électricité, les neurosciences traitent de concepts antérieurs (émotions, libre arbitre, conscience, prise de décision, …) à leur apparition en tant que domaine d’étude. Albert Moukheiber a donc précisé ce que recouvre le terme désignant les émotions, à savoir :
- Un état biologique ;
- Un concept, verbalisé (« Je me sens triste », « je suis énervé », …) ;
- Un ressenti subjectif, difficilement mesurable (cf. échelle de la douleur en médecine) : un affect. Il n’est à ce stade pas possible de mesurer concrètement la douleur, la tristesse, la joie.
Un état biologique
Dans le premier cas (état biologique), les émotions sont probablement distinctes des processus volontaires, mais pas assez automatiques pour être considérées comme un réflexe. Pour expliquer ce qu’est ce substrat biologique de nos affects, le chercheur s’appuie sur la définition donnée en 2018 par Adolphs et Andler : « État fonctionnel qui est généralement le résultat d’expériences sensorielles qui typiquement causent des résultats comportementaux et qui peuvent changer ou être changés par d’autres états mentaux comme la mémoire, l’attention, etc… »
Évolutivité, valence, persistance, généralisation, coordination globale, automaticité, communication sociale (y compris non verbale), nombreuses sont les caractéristiques attachées aux émotions, qui ne sont pas situées dans une zone précise du cerveau.
Là encore, contrairement aux idées reçues, pas de cerveau artistique, reptilien, limbique ou émotionnel et l’amygdale n’est pas le centre de la peur. « Le cerveau fonctionne de manière distribuée et non localisée », précise Albert Moukheiber. Le cerveau, ce système complexe, ne fonctionnerait pas en causalité linéaire mais en boucles de rétroactions, en lien avec des propriétés émergentes.
Un cerveau, un corps, un contexte
« On est un incarné : un cerveau dans un corps dans un contexte », précise le chercheur qui milite contre une approche réductionniste. Il illustre notamment son propos par l’exemple d’un mineur confié aux établissements et services de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) qui irait mal. Est-ce parce que son cerveau interprète mal la réalité et génère des troubles (anxieux, paranoïaques, de la personnalité, …) ? Ou est-ce parce qu’il boit trop de boissons sucrées et pas assez d’eau (corps) ? Ou est-ce encore lié à son environnement familial délétère (contexte) ?
Comment évoquer ces situations souvent multifactorielles, dans une société de plus en plus construite sur l’individuation du comportement où tout semble fait pour culpabiliser et donner l’impression que c’est le cerveau qui ne va pas et qu’il faut le restructurer ? Ainsi, dans un cas de burn-out professionnel lié à une situation de charge de travail trop intensive et d’un harcèlement moral quotidien, il s’agirait, plutôt que de remodeler la structure cérébrale de la personne victime de la situation (remise en question, dépréciation, …) de travailler sur le contexte (le manager toxique).
Nombreux sont les modèles de représentation qui pullulent en ligne (rosace des émotions, matrice des émotions, schéma émotionnel, …) et dont il ne faudrait pas tenir compte, car les émotions sont diverses. Elles doivent être appréhendées au prisme de la culture (ex : les jeunes face aux plus âgés), du contexte (ex : l’esprit d’escalier, « J’aurais dû dire ça », …) et de la polysémie (« J’ai le seum », …).
Faire affect
Les affects :
- impliquent le corps (dents qui grincent, poils qui se hérissent, …)
- sont culturels
- peuvent être déclenchés par un souvenir
- sont phénoménologiques (subjectifs ; chacun a sa perception du stress)
- sont difficilement objectivables (il faut croire sur parole des gens, qui peuvent mentir).
Les affects (décrits comme « émotions » dans le langage courant) sont à distinguer de l’humeur et de la personnalité. Il est ainsi possible d’être en colère (affect, intensité variable), d’humeur colérique (intensité élevée, temps long), ou avoir une personnalité colérique (intensité moyenne, temps très long). S’il est envisageable de faire de la régulation émotionnelle (sur l’humeur), il est plus difficile de faire évoluer une personnalité.
Pas de top modèle
Là encore, plusieurs modèles d’analyse sont en compétition, sans consensus scientifique. Toutefois, ces théories font toutes intervenir la valence (émotions soit positives, soit négatives), et l’arousal (plus ou moins traduisible par l’intensité : peu, beaucoup, très, …). Albert Moukheiber en présente quelques-unes :
- la théorie intéroceptive (Damasio et Craig), qui postule qu’il faut gérer simultanément les émotions, le corps et la conscience ;
- la two-factor theory (Schachter et Singer, proche de la théorie de William James formulée dès 1880), selon laquelle les émotions sont guidées par l’état corporel et la cognition (la rationalisation de l’état biologique) et sont une interprétation. Il s’agirait alors de travailler sur ce à quoi on attribue un état émotionnel.
- la théorie des appraisals (évaluations), où les émotions sont le résultat de l’interprétation continue des événements par rapport à leur signification personnelle.
- la théorie des émotions construites, selon un apprentissage. Il n’y a donc pas d’émotion universelle. Il n’y a pas non plus de distinction entre émotion et cognition.
- la higher order theory of emotion (Ledoux), selon laquelle les émotions sont une brique parmi d’autres (ex : mémoire, attention, …) de la conscience et qu’il faut donc travailler simultanément sur ces différentes briques.
Le chercheur précise qu’il n’y a pas de modèle opposant clairement les affects à la cognition (raison) et que lorsqu’il y a opposition, ce sont en réalité entre des dyades affect-cognition.
À l’issue de la conférence, Albert Moukheiber s’est livré au jeu des questions/réponses en apportant quelques précisions et conseils :
- sur la dissonance émotionnelle (possibilité d’avoir deux émotions en même temps) ;
- le caractère iatrogénique d’une thérapie (qui peut faire plus de mal que de bien) ; aucune thérapie n’est infaillible ;
- l’erreur de la cause unique, en invitant les professionnels à maximiser l’utilisation de l’incertitude dans la prise en charge et à ne pas se focaliser sur un seul élément explicatif (ex : si un psychologue très compétent ne sait pas soigner un patient, ce n’est pas parce que son cas est désespéré, c’est parce que les connaissances en psychologie ne sont pas encore assez avancées).
- sur les jeunes pris en charge par la PJJ. Le cerveau change en permanence. S’il est utopique de croire qu’on peut changer ces jeunes lors de leur passage dans l’institution, tout l’enjeu est, en réalité, de leur donner les outils, afin qu’ils puissent se changer eux-mêmes.
Une nouvelle soirée de l’encadrement sera proposée dans la prochaine édition du dispositif de la semaine du cadre, qui portera sur le thème de l’innovation et de l’intelligence collective. Cette semaine sera à découvrir dans l’offre nationale de formation continue 2025 de l’ENPJJ, qui sera prochainement disponible en ligne.