Management et humanisme clôturent les soirées de l’encadrement

Management et humanisme ont clôturé le cycle des premières soirées de l’encadrement de l’ENPJJ.

Management et humanisme clôturent les soirées de l’encadrement

Le 14 novembre 2017, management et humanisme ont clôturé le cycle des premières soirées de l’encadrement de l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse.

Le mardi 14 novembre 2017, l’École supérieure des hautes études en santé publique (EHESP) a accueilli la dernière soirée de l’encadrement de l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ). Organisées par la mission formation des cadres de l’ENPJJ, ces soirées ont pour objectif principal de favoriser la diffusion d’une culture commune parmi les cadres des trois fonctions publiques. « Nous sommes invités à développer une culture managériale qui fasse sens entre nous tous et qui porte un maximum de cohérence entre nos institutions », a déclaré Frédéric PHAURE, directeur du service de la formation de l’ENPJJ lors de l’allocution d’ouverture. Donnée par Laurent LEDOUX, manager, « catalyste » de transformations et « amant » de la philosophie, la conférence de clôture, qui a rassemblé une quarantaine de participants, a porté sur le thème « Management et humanisme ».

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Management et humanisme

 « L’humanisme est une éthique de confiance en la nature humaine », a rappelé Laurent LEDOUX en évoquant Augustin RENAUDET : « Orienté à la fois vers l’étude et la vie, il prescrit pour but et pour règle à l’individu comme à la société, de tendre sans cesse vers une existence plus haute ».

Si l’humanisme du XXIème siècle diffère sensiblement de celui de la Renaissance, quatre grandes principales caractéristiques persistent. Il s’agit de la reconnaissance :

  • De la liberté et de la capacité d’autodétermination. « La seule autorité que les humanismes reconnaissent, c’est celle de la rationalité », explique Laurent LEDOUX, en insistant sur le rejet des dogmes et des arguments d’autorité ; 
  • De la dignité et la valeur intrinsèque de chaque être humain ;
  • Du développement possible pour chacun, par l’étude, les savoirs, la connaissance ;
  • Du progrès possible de la civilisation vers une forme idéale de l’humanité.

Laurent LEDOUX s’est ensuite attelé à déterminer si les nouvelles formes d’organisation du travail correspondaient à cet humanisme, en s’appuyant sur l’exemple des entreprises libérées et les publications d’Isaac GETZ, Frédéric LALOUX et Will SCHUTZ.

 

GETZ et la philosophie du leadership « libérateur »

Isaac GETZ a conduit une série d’études dans différentes organisations, pour en dégager certaines règles. Il en ressort entre autres que le psychologue américain Douglas MC GREGOR est l’une des principales références des leaders « libérateurs » étudiés par Getz. Dans son ouvrage « The human side of enterprise » publié dans les années 60, MC GREGOR oppose deux théories de la gestion des organisations : la théorie X et la théorie Y.

La théorie X part du postulat que les hommes n’aiment pas travailler. « La tâche principale du management est alors de manier adroitement la carotte et le bâton pour qu’ils travaillent le mieux possible dans l’intérêt de l’organisation », explique Laurent LEDOUX. Tout comme dans les années 60, la plupart des organisations fonctionnent encore aujourd'hui sur la base de cet à priori  idéologique non humaniste. A l’inverse, la théorie Y défend l’idée que, dans certaines conditions, les êtres humains aiment naturellement travailler et donner le meilleur d’eux-mêmes. « Dans ce cas-là, ce qui les motive ce n'est pas la carotte et le bâton – le salaire, une augmentation, un risque de licenciement, … – mais  la motivation intrinsèque : l'amour du travail bien fait, le sens que l'on donne au travail, la reconnaissance qu'on peut avoir au travail, … ». Ce rapport au travail se rapproche d’une vision de l’être humain qui s’apparente à un certain humanisme.

En s’appuyant sur ces théories, Isaac GETZ retient trois grands principes d’entreprises libérées, en phase avec l’humanisme :

  • Le respect de l’égalité intrinsèque de chaque personne dans l’organisation, un préalable à l’inclusion des autres ;
  • La réalisation de soi. Le travail doit être conçu, dans l’organisation, de telle sorte que chaque personne puisse se développer comme une personnalité à part entière et pas seulement comme un amas de compétences ;
  • L’auto-direction. L’idée est de tendre vers une culture professionnelle dans laquelle les employés/salariés/agents pourraient prendre toute l’autonomie qu’il juge nécessaire pour mener à bien leurs missions, dans la limite des règles préalablement établies.

Isaac GETZ, au-travers de ces principes qui convergent avec les 4 grandes caractéristiques de l’humanisme, propose donc une philosophie du leadership « libérateur » qui peut être qualifiée d’ « humaniste ».

 

L’Élément Humain de SCHUTZ

Le psychologue américain Will SCHUTZ a quant à lui développé dans les années 80 le concept de l’Elément Humain, qui trouve des similitudes avec la théorie Y. Selon SCHUTZ, l’estime de soi serait la clé pour résoudre les problèmes organisationnels. Il faudrait ainsi, pour améliorer la performance d’une équipe, travailler sur chacun de ses membres en s’attachant au développement personnel, à la dignité et à la valeur intrinsèque de chacun. Pour ce faire, Will SCHUTZ considère qu’il faut veiller à prendre en compte les peurs de chaque membre de l’équipe et veiller à créer des conditions de travail qui les minimisent. Ces peurs, universelles selon SCHUTZ, sont les suivantes :

  • La peur d’être ignoré(e), qui peut être réduite en travaillant sur l’inclusion ;
  • La peur d’être humilié(e), embarrassé(e), où se pose la question du contrôle et de l’impact que chacun a sur les autres (position dans le groupe, compétences développées, …) et inversement ;
  • La peur d’être rejeté(e), où le contrepoids sera le levier de l’ouverture (l’acceptation de l’autre).

L’objectif est donc de travailler sur la réduction de ces peurs, qui, cependant, ne disparaissent jamais complètement.

 

LALOUX et la philosophie de l’organisme vivant

Frédéric LALOUX se rapproche des concepts précédemment évoqués en s’appuyant lui aussi sur trois principes :

  • La plénitude. L’individu est considéré non pas comme un simple outil de production mais dans toute sa plénitude, ce qui se rapproche des concepts de réalisation de soi et de respect de l’égalité intrinsèque précédemment évoqués ;
  • L’auto-direction.
  • La raison d’être évolutive de l’organisation.

Ce dernier principe s’apparente à la quatrième caractéristique de l’humanisme (le progrès de la civilisation). « L’organisation n’est non pas vue comme un mécanisme mais comme un organisme vivant qui transcende chaque membre de l’organisation », explique Laurent LEDOUX. Frédéric LALOUX, en développant une approche plus historique des organisations, propose moins une philosophie du leadership libérateur qu’une philosophie de l’organisation comme organisme vivant. Il s’appuie sur le concept de la spirale dynamique, développé par notamment par Ken WILBER. Il s’agit d’une grille de lecture qui fonctionne pour les individus, les organisations et les sociétés. Elle décrit différents niveaux de conscience qu’empruntent les organisations (individus, sociétés) lors de leur processus de développement. Chaque passage s’accompagne d’une nouvelle façon d’organiser les relations aux autres en évoluant d’un auto-centrisme (les organisations tribales, …) jusqu’à une vision holistique ("opale" ; acceptation de l’autre dans toute sa diversité) vers laquelle chaque individu/organisation/société peut et devrait idéalement tendre.

« Au-delà de leur préoccupation pour la dynamique humaine », ajoute Laurent LEDOUX, « les leaders libérateurs ou Opale ont une plus grande préoccupation pour l’écologie, les dimensions sociétales, l’éco-systémie. Frédéric LALOUX souscrit quant à lui à une vision holistique des choses, au rôle de l’être humain dans un tout qui le dépasse ».

 

Valeurs humanistes et valeur actionnariale

Cette approche holistique remet en cause l’idéologie traditionnelle dominante qui stipule le seul but de l'organisation est de maximiser la valeur actionnariale. Milton FRIEDMAN définit la responsabilité du manager comme "la maximisation de la valeur actionnariale, sous la contrainte du respect des lois ou de la décence commune". Ce modèle qui a fini par s’imposer jusqu’à paraître naturel connait à l’heure actuelle une remise en cause à travers différentes visions et expérimentations que présente Laurent LEDOUX :

  • Le renversement de l’ordre des "valeurs", où les objectifs ultimes (la rentabilité) deviennent des contraintes et inversement. A l’inverse de la pensée de Friedman, le but pour les organisations deviendrait alors d’optimiser la valeur partagée que produit l’organisation, sous la contrainte d’un retour sur investissement adéquat pour les actionnaires ;
  • Un pacte d’entreprise engageant aux statuts légauxet permettant les entreprises qui y souscrivent à ne plus être légalement tenues d’avoir le profit ou la maximisation de la valeur actionnariale comme leur but ultime. Les textes de lois contraignent encore souvent aujourd’hui les sociétés anonymes à ne faire que du profit (si ce n’est pas le but principal recherché, le statut privilégié est la fondation).
  • Un board of critical friends : un conseil d’administration alternatif composé d’individus opposés aux actions de l’organisation. L’objectif est alors de stimuler la réflexion de l’organisation au regard des enjeux sociétaux auxquels elle est confrontée.

Ces exemples parmi tant d’autres s’inscrivent dans une dynamique de nouvelles organisations évoluant dans une optique humaniste : on fait preuve d’auto-détermination et on se libère des dogmes transcendants (l’idéologie néolibérale, capitaliste extrême, …). Dov SEIDMAN, de LRN, a mis en évidence le paradoxe de ce type d’organisations nouvelles, qui surperformeraient (comparativement aux organisations fonctionnant sur le modèle traditionnel) alors qu’elles sont moins préoccupées par les résultats financiers. Laurent LEDOUX rappelle toutefois que l’augmentation de la valeur produite n’est que la conséquence de la mise en place de principes humanistes au sein d’une organisation. « Si on essaye de poursuivre les principes de l'humanisme dans le seul but d'augmenter la valeur actionnariale, ça ne marchera pas ».

L’humanisme en pratique

Laurent LEDOUX s’est par la suite livré à un retour d’expérience quant à la mise en place d’une démarche de fonctionnement humaniste lors de son passage au service public fédéral Mobilité et transports de Belgique (1100 professionnels). Il s’est pour cela massivement appuyé sur les trois principes d’Isaac GETZ :

  • Respect de l’égalité intrinsèque. C’est la culture du questionnement (sentiment ressenti par les collaborateurs qu’ils peuvent être impliqués dans la prise de décision et qu’ils peuvent poser des questions sur tout et tout remettre en question, sans tabous), de l’humilité, de l’équité. Dans cet esprit, une démarche participative a été engagée pour définir le plan de management en concertation avec l’ensemble du personnel. L’évolution de l’organisation s’est notamment manifestée par la mise en place de CODIR ouverts (appels à suggestions et transmission de l’ordre du jour en amont à tous les agents, communication à tous les agents du relevé de décisions, ouverture du CODIR aux agents intéressés par certains sujets, …), la transformation des bureaux (avec une prédisposition pour le flex desk : pas de bureau nominatif), le développement du télétravail ou encore la suppression de l’obligation de pointer.

Tout le monde se sent invité à exprimer son avis (qui sera entendu, accepté ou fera l’objet d’un refus motivé), ce qui pousse naturellement à s’impliquer.

  • Réalisation de soi, grâce à :
    • L’exploration. Il s’agit de permettre aux gens de définir leur travail, selon ce que l’entreprise GORE définit comme le sweet spot : l’adéquation entre ce qui est pertinent, les capacités du professionnel pour l’accomplir et le plaisir qu’il a à le faire. En formation, l’exploration s’illustre par la liberté laissée aux professionnels de proposer des formations qu’ils aimeraient suivre.
    • L’artisanat. Les professionnels ne doivent pas avoir l’impression de devoir produire en vitesse et en quantité, mais plutôt de faire ce qui est juste et bon. L’idée est alors qu’ils se réapproprient leur travail pour en redevenir les artisans. Laurent LEDOUX cite l’exemple des infirmiers à domicile de BUURTZORG (Pays-Bas) ayant mis en place un modèle d’organisation de ce type. Loin des idées reçues en terme de productivité, il a été remarqué que si les infirmiers prennent plus de temps pour soigner, le rétablissement des personnes soignées est beaucoup plus rapide et par extension les frais de prise en charge moins élevés.
    • La collaboration. L’idée est de permettre aux professionnels d’évoluer dans des équipes réduites pour que chacun puisse se connaître réellement et soit plus enclin à prendre des initiatives.
  • Auto-détermination, à travers la confiance, les objectifs partagés, le soutien et le lâcher-prise. La suppression de l’obligation de pointer, le télétravail, la flexibilité des horaires et la liberté qui en découle – dans le cadre de règles définies collectivement – sont gage de confiance. Mettre en place un sentiment de confiance et de responsabilité pousseraient les professionnels à accepter cette responsabilité. Laurent LEDOUX précise : « Si on traite les gens comme des adultes, quelques 97% des gens vont typiquement vouloir être dignes de cette confiance. Dans les organisations hiérarchiques, on met donc en place des règles pour contraindre les 3% restants, et on démotive ainsi, en les traitant comme des enfants, 97% de personnes qui n'en ont pas besoin. C’est dramatique et complètement inefficace  ». Face à la recherche perpétuelle de validation ou d’approbation par un supérieur hiérarchique, il propose le principe de la ligne de flottaison et du processus de conseil (mis en place chez Gore ou AES par exemple) : la possibilité pour un professionnel de prendre une décision sans informer préalablement sa hiérarchie, sous réserve de s’être informé auprès des personnes spécialistes du sujet traité ou susceptibles d’être impactées par cette décision.  Laurent LEDOUX a également évoqué le principe du comité des petits cailloux, qui permet aux collaborateurs de formuler des propositions visant à résoudre de petits problèmes jugés non stratégiques par la hiérarchie et adoptées automatiquement en l’absence de réponse rapide de celle-ci. « Le chef est là pour soutenir les bonnes idées pour qu’elles puissent se mettre en œuvre », rappelle Laurent LEDOUX, qui insiste sur l’importance de l’esprit d’initiative et de la responsabilisation de chaque professionnel en faisant également appel aux écrits de Hyacinthe DUBREUIL : « Si on faisait confiance aux ouvriers comme l'entraineur le fait avec les joueurs de football, il y aurait des arrangements et ajustements spontanés dont l'organisation scientifique la plus poussée ne saurait prévoir les détails. […] Nous voudrions tout voir et commander de quelque poste central sans laisser à ceux qui sont aux extrémités le soin de s'adapter eux-mêmes à la réalité qui les entoure ».

A l’issue de la mise en place de cette démarche, Laurent LEDOUX a notamment pu constater :

  • Une amélioration de la qualité des services ;
  • Une réduction des délais de traitement ;
  • Une chute du taux d’absentéisme et de maladie longue durée ;
  • Une économie annuelle sur les dépenses de fonctionnement (via la mise en place du flex desk généralisé).

Un cheminement spirituel

Laurent LEDOUX a ensuite présenté quatre conditions fondamentales qui doivent être réunies pour mettre en place un modèle d’organisation humaniste :

  • « Moins de blabla, plus d’action ». L’une des principales tâches du manager est de remplir le seau de la confiance, chaque jour, à la petite cuillère, à travers des actes de bienveillance et de confiance, de sorte que cette confiance se généralise dans l’organisation ;
  • Une approche cohérente à tous les niveaux. Il cite à cet égard Bob Davids, patron libérateur de Sea Smoke Cellar : « Une goutte d'acide urique dans la marmite et toute la soupe est fichue. »  ;
  • Mettre en place des pilotes et des dérogations. L’idée n’est pas de révolutionner le système le jour J, mais de commencer par des expérimentations sur des sites/professionnels pilotes. Par ailleurs, Laurent LEDOUX conseille de ménager des portes de sortie à ceux qui ne souhaiteraient pas entrer dans ce type de démarche, tout en rappelant que certaines décisions doivent quand même s’imposer ;
  • La posture du management, qui est la condition première et indispensable. La conduite du changement doit venir d’en haut. La transformation de l’organisation passe par une transformation culturelle qui dépend elle-même d’une transformation intérieure. « La vraie fonction du chef consiste bien plus à servir qu'à commander, pour de vaines satisfactions de sot amour propre », a écrit Hyacinthe DUBREUIL. C'est dans ce prestige qu'il devra trouver l'origine de son autorité et non dans l'emploi des vieilles formules autoritaires qui hérissent et froissent ceux qui ont à les subir. »

En s’appuyant sur la projection d’un court-métrage, Laurent LADOUX délivre des clés de compréhension « pour faciliter la bascule » et dépasser l’idée selon laquelle il serait impossible de réorganiser une institution sur le modèle humaniste. Pour cela, le manager, doit mener un travail sur lui-même, faire preuve de discernement, de courage, d’humilité, échanger et prendre soin des professionnels placés sous sa responsabilité. « La tâche du libérateur humaniste  c’est de moduler le stress du groupe de sorte qu’il soit productif », explique Laurent LADOUX. Il précise que c’est généralement au niveau des cadres intermédiaires que les blocages sont les plus fréquents et que c’est là qu’il faut accentuer la démarche de persuasion. « Parfois il faut savoir se séparer de ceux qui refusent et sabotent la démarche », reconnait Laurent LADOUX, en référence au départ de certains membres du CODIR de sa propre institution.

 

La démarche humaniste est une démarche d’amélioration continue, sans fin. « C’est un cheminement spirituel », conclue Laurent LADOUX. « Un horizon qui se renforce potentiellement toujours, mais qui est aussi très fragile. C’est un beau chemin, mais un chemin sans fin ».

 

La conférence sera prochainement disponible en ligne sur le site de l’ENPJJ.